(Bou Bou YeYe, le cri des femmes de mineurs en grève)
Ils habitaient un village de la Flandre wallonne. Ils avaient grandi ensemble lentement dans les hauts herbages dans la poussière des routes, dans la senteur âcre des fermes, Dans les fossés, on allait se laver la figure ou je ne sais trop quoi avec les rats. Ils devisaient dans les chemins creux côte à côte, d'un pas lent et monotone sérénité des prairies grasses, des larges fleurs et des grands bœufs qui y suivaient leur songe obscur.
Mais il faut que tu partes chez les bourgeois apprendre les manières de la ville, si tu veux savoir tenir ton ménage à Douai.
Elle est partie, il ne dort plus les abeilles bourdonnent dans les hautes ciguës assis dans les branches d'un saule - quand la lune se lève, ça rend sa silhouette si bizarre les paysans attardés le prennent pour un merlifiche (1), pour quelque jeteux de sort, venu de Belgique. Il rôdait toujours au bout du pays, le niquedouille, les yeux fixés sur l'horizon...
Comment ça se fait qu'à 38 ans je suis là que je m'étouffe ? - Qu'est-ce que tu veux à manger ? - J'ai pas faim, j'ai mangé 75% de poussière Ferme la fenêtre, j'ai froid Ouvre, j'ai chaud, j'étouffe Allume le feu,éteins-le Fais pas la lessive, j'étouffe Ah ! ces gosses, j'peux plus les supporter Comment ça se fait qu'à 38 ans je suis là que je m'étouffe ? Mon copain, y m'appelle "le Vieux"...
Le four de fonderie de zinc des Asturies dégage une fumée qui fait tout mourir : les arbres ne poussent plus, et si tu vois encore de l'herbe, c'est sur les terrils ; les terrils, c'est pas des collines au pays des mines...
BOU BOU BOUYEYE...
Tu vois, je ne peux pas imaginer que ce ne soit pas la ville des oignons Wagnonville Y'a ceux du Marais, y'a ceux de la Ville Nous du Marais on s'accroche au patois du Nord on a du caractère, on se fera pas enterrer à la ville à Wagnonville Mais ça nous empêchera pas de préparer ensemble des chansons Pour les élections - on remettra pour plus tard les concours de pinsons à Wagnonville
Grand'mère était ouvrière dans une filature elle économisait chaque jour son sou de bière pour acheter des meubles pour marier les enfants ils seront instituteurs, quoi de plus beau ! C'est du beurre à 30 sous, qui faut diabolo !
Elle m'a raconté qu'un soir à Sin Le Noble, le Roi Soleil était arrivé près la bataille : il avait demandé à manger des choux ça arrange les intestins et puis ça les dégonfle après l a fait dans les draps, l'odeur reste, ça sent (2) le noble, à Sin Le Noble.
Grand-père s'est reconverti, finie la mine le voilà marchand d'os, ferrailles, peaux de lapin ; à pied, brouetteur de marchand de couvertures ah ! quel métier de chien (3) !
Tiens, voilà les drapeaux rouges sur la route de Oisier (4) , quel danger ! Ma mère elle est chrétienne, papa va de l'avant "s'pèce de socialiste, va" qu'elle lui dit, maman Mais quand elle entend l'Internationale à l'unisson, une série de personnes qui chantent avec conviction, a lui remue les boyaux (bis)...
BOU BOU BOUYEYE
Le médecin des houillères comprend, il ne vient pas voir ce qui se passe au fond faut descendre à la fosse, pas une fois, pas un jour, mais 10 ans, 15 ans - savoir ce que c'est que d'étouffer, de prendre des cailloux sur la gueule, attendre des heures au bureau pour avoir un papier aller sous la pluie à bicyclette avec 40 de fièvre au centre Comment ça se fait qu'à 38 ans je suis là que je m'étouffe ? Mon copain, y m'appelle "le Vieux"...
Le four de fonderie de zinc des Asturies dégage une fumée qui fait tout mourir : les arbres ne poussent plus, et si tu vois encore de l'herbe, c'est sur les terrils ; les terrils, c'est pas des collines au pays des mines...
Ma mère m'a dit : T'es qu'un godailleux, t'as dépensé des sous qu'on n'avait pas dans la bourse ; faut payer la maison" Y'a de jolies fraises, des jolies fraises à Anolin (5) J'irai les cueillir chez le voisin à 4 h, tous les matins, faut payer la maison... mais y'a la grève à Flers
BOU BOU BOUYEYE BOU BOUYEYE...
C'est le cri des femmes de mineurs, mains nues dans les rues Pas de fourches, pas de faux, mais j'ai peur, oui, j'ai peur bien que je sois fils de mineur ; mais moi, je serai instituteur, et je veux jouir de la retraite le plus longtemps possible et toutes ces femmes, elle me font peur
BOUYEYE...
Adonis, t'as la drisse (6) - Pharmacien, une petite médecine pour la fille du diable qui a mal à son ventre !
BOUYEYE...
Comment ça se fait qu'à 38 ans je suis là que je m'étouffe ? Mon copain, y m'appelle "le Vieux"...
BOU BOU BOUYEYE...
(1) En argot, un saltimbanque, un vagabond
(2) Qui se prononce "sint" en patois
(3) Métier de chien, en connaissance de cause, puisque ces petits métiers nécessitaient à l'époque l'usage de "carrettes à quiens". Il en passait encore dans les années 60 : « Chiffons! Peaux d'lapin, peaux ! » Quant au marchand d'os, ce serait ce qu'on appelait ailleurs un regrattier, qui fait commerce d'articles de seconde ou troisième main, voire de rebuts : « Às' oches ! Às' oches ! »
(4) Waziers, bien sûr
(5) Annoeullin, à 25 km de Douai
(6) Expression propre au patois picard dont chacun connaît le sens.
Quant à Adoniss', il est sans doute là pour la rime, et de la même famille populaire que Narciss' (le tiot Quinquin) et Baptiss' (qui est toudis contint).